QUAND LA BEAUTÉ NOUS SAUVE – Charles Pépin

Quand la Beauté nous sauve - Charles Pépin
Charles Pépin
QUAND LA BEAUTÉ NOUS SAUVE
Éditeur : Robert Laffont – février 2013
EAN : 978-2221135624
4 out of 5 stars (4 / 5)
Le titre de cette ÉTUDE peut apparaître équivoque car si la beauté peut nous secourir, éviter le non retour d’un acte irréfléchi elle précipite parfois l’être en des abîmes dont la profondeur exclut toute réversibilité.
Nous sommes d’ailleurs prévenu(e)s par la conjonction de subordination qui inaugure le titre de l’ouvrage de Monsieur Charles Pépin. Ainsi la beauté ne nous sauve pas systématiquement, le premier monème du titre nous invite à étudier précisément les relations préexistantes entre « les signifiés » et « le signifiant » de ce terme avant d’aborder le livre dont il est ici question. Quant au concept de beauté, il s’agira ici également d’appréhender les différentes significations d’un mot dont l’usage a été quelque peu galvaudé par un usage parfois intempestif.Avant d’étudier le recueil de Monsieur Charles Pépin – qui s’est notamment inspiré de la pensée Kantienne – il serait sans doute nécessaire de consulter les 3 ouvrages qui ont inspiré l’auteur du livre qui nous intéresse présentement à savoir :
– critique de la raison pure,
– critique de la raison pratique,
– critique du jugement suivie des observations sur le sentiment du beau et du SUBLIME.

Mais voilà, nous ne sommes pas toutes et tous « philosophes de profession » et la lecture de ces œuvres magistrales ne nous est pas toujours facilement accessible, alors il nous faut – pour certains d’entre nous – avoir recours aux traducteurs de ces écrits hermétiques pour accéder à leur consistance sachant que ces intermédiaires aussi érudits soient-ils se figent souvent dans une interprétation trop subjective.

Mais revenons au livre de Monsieur Charles Pépin : « quand la beauté nous sauve ».

Selon ce philosophe (qui se présente plus ici comme un libre penseur) notre manière de cogiter, d’exister et/ou d’agir résulte souvent d’un choix entre deux solutions sensiblement antagonistes.
Les prises de décision relèvent la plupart du temps « d’un conflit des facultés » :
– C’EST BIEN : la décision est prise par notre volonté en relation avec l’accentuation morale qui nous a été inculquée ; une part de notre désir a, par conséquent, été détachée,
– C’EST BON : notre sensibilité impose ses droits sur notre rationalité,
– C’EST VRAI : la réflexion évince notre part imaginative,
– C’EST « BEAU » : lorsque le ressenti n’émane pas d’une interrogation, d’une approche intellectuelle, si cela est instantanément beau car il ne peut pas en être autrement pour notre courbure d’âme alors nous dépassons le stade de la dualité…un instant de plénitude nous est offert.

Lorsque nous sommes dans la dualité, ces conflits laissent des traces sur les versants
Psychologique et physiologique.
Lorsque que nous sommes dans l’unicité du  » Beau », pour un instant, le conflit cesse, la plénitude peut advenir.

Charles Pépin va ainsi tout d’abord nous conduire chez celui que l’on nomme « le Copernic de la Philosophie », C’est-à-dire chez « le Docteur » Kant.

Sur le plan de la connaissance scientifique que Kant évoque dans « la critique de la raison pure » on retrouve ce conflit des facultés mais pleinement accepté dans le cadre du tempo qui a dicté cette assertion.
Pour Kant, la rigueur de la connaissance scientifique exige de l’homme que ce soit une de ses facultés : la réflexion, l’entendement qui l’emporte sur les autres en l’occurrence la sensibilité et l’imagination. Dans cette idéologie les conflits internes entre des énergies qui s’opposent sont librement acceptés, le choix en demeure pourtant douloureux puisque deux décisions s’affrontent ce qui suppose un renoncement à l’une d’entre elles pour accéder à l’arbitrage final objectivable.
Cependant Charles Pépin nous explique qu’au soir de sa vie, Kant fit une découverte qui va entrer en opposition partielle avec l’architecture de laquelle a émané « le conflit des facultés », cette découverte entre en résonance avec la réception de l’immanence de la Beauté.
Un jour, alors qu’il était installé à son bureau de travail, Kant observa distraitement par la fenêtre entrouverte sur son jardin les vibrations végétales de la nature qui avait repris naissance et s’était expansée quelque temps en l’absence de son jardinier chargé de tailler soigneusement les branchages. Le surgissement immédiat de la beauté de cette nature, subitement mais délicatement libérée des mains de l’homme, recentra notre savant dans un ordre où la raison dualiste s’efface laissant place à l’harmonie.
Le théoricien « du conflit des facultés » venait de découvrir – à un âge avancé – l’unification de ces dernières dans le sentiment du naturellement « Beau » qui va le conduire à écrire un nouveau livre : « la critique de la faculté de juger ».
Cet « essai » ne remet pas totalement – à mon avis – en cause ce qui a été défini dans ses ouvrages antérieurs mais il ouvre un espace de liberté qui laisse place cette fois, non au TRAVAIL de sélection qui consisterait à confronter des opinions contradictoires sur une définition scientifique du concept de « BEAUTÉ » avant de pouvoir s’émerveiller ou non sur « l’OBJET » d’un éventuel ravissement. Cette fois Kant parvient à admettre que l’irruption de la Beauté dans la conscience « du sujet pensant » repose sur le LIBRE JEU des facultés qui s’harmonisent pour sanctifier le « Beau » dans un plaisir esthétique qui n’admet AUCUNES possibilités contradictoires.
Toujours selon Kant, ce jeu est libre, aucune faculté ne commande aux autres, aucune n’obéit et pourtant « c’est beau relève du jugement » mais il s’agirait D’UN JUGEMENT RÉFLÉCHISSANT où chacune de nos facultés se renvoient leur assentiment sur « l’OBJET » dont il est question.
À contrario les affirmations suivantes : C’EST BIEN, C’EST BON, C’EST VRAI, sont DÉTERMINANTES car elles ne peuvent être exprimées que suite au comportement dicté par un « CHOIX » moral, sensuel assouvi, ou raisonnable.
Le jugement déterminant se déplace du général admis qui par définition préexiste au particulier tandis que le jugement réfléchi relatif au sentiment esthétique se développe dans l’immédiateté du particulier pour s’expanser vers une généralité où nous pouvons – pour certains – nous retrouver.
(Mais selon Kant, il ne s’agit pas de confondre le « Beau » qui engendre le calme avec le « SUBLIME » qu’il relie avec la notion de « grandeur absolue » suscitant le temps du terrible et/ou du merveilleux, la nature étant par excellence parfaitement imprévisible.)
Le sublime provoque chez Kant – et non chez les Grands Initiés – un sentiment de peur car il s’impose au- delà du « Beau » parfois en terrorisant le commun des mortels – aussi savant soit-il – qui ressent alors une agitation de l’âme qui s’en trouve ébranlée.
Mais Kant nous explique également qu’en contemplant le SUBLIME on éprouve notre propre vivant, il permet donc la conscientisation d’une immensité qui nous rend susceptible d’envisager un univers sans limites ce qui peut paraître enivrant, effrayant et en tout état de cause extrêmement déstabilisant.
En revanche le « Beau » possède une finitude qui peut exprimer une perfection et induire l’introduction d’un « MOI » – pour un instant – unifié et éventuellement participatif d’une universalité lorsque l’aspect merveilleux ponctuel de la nature et/ou le génie de l’ARTISTE viennent subrepticement à nous émouvoir et à nous rassembler dans un mouvement de partage et de générosité.
Cependant « l’émergence de la beauté unificatrice des facultés humaines » » découverte par Kant (au soir de sa vie) résulte de règles morales, préexistantes chez ce génial penseur, capable de saisir l’instantanéité de la « Grâce » de part une antériorité spirituelle non véritablement avouée mais bien présente chez ce chercheur de Vérité.

Si l’on s’écarte de la pensée Kantienne, pour se rapprocher par exemple du précurseur de la psychologie – nommé Sigmund Freud – l’aspect apaisant de la « Beauté », son charme qui nous ravit, ne saurait nous faire ignorer sa possible réversibilité maléfique lorsque nous ne sommes plus capable de la protéger.
Cette Beauté qui a la puissance de nous réjouir et de nous réunir ponctuellement pour des instants de fraternité réconciliatrice a également été utilisée, et l’est encore d’ailleurs aujourd’hui présentement, par les plus grands totalitaristes empruntant à la beauté devenue – dans ce cas – maléfique – des discours flamboyants susceptibles de rassembler des foules désespérément ignorantes.
Ainsi la Beauté nous éclaire sur notre système de valeurs, celui que nous avons adopté pour un temps indéterminé, car le charme du « Beau » nous renvoie également – au seuil de son paroxysme – à la fascination de la toute puissance mortifère qui nous habite tous et qui peut nous asservir si nous n’avons pas le courage de la regarder et de la conscientiser dans sa manifestation destructrice.
Mais Freud – lui aussi – au soir de sa vie va trouver une solution pour essayer d’harmoniser toutes les pulsions de vie et de mort qui nous animent.
Dans son ouvrage « Malaise dans la civilisation » il affirme que nous devons refouler nos pulsions agressives asociales pour vivre parmi nos concitoyens.
Les pulsions violentes demeurent donc normalement structurellement et « sagement » inconscientes pour certaines d’entre elles au sein de notre psyché en sachant qu’elles pourraient délivrer à chaque instant leur agressivité sous-jacente.
Cependant toutes inconscientes soient-elles, elles parviennent parfois – chez certains sujets -à libérer leur énergie trop contraignante sous forme de violence et/ou de symptômes psychologiques plus ou moins invalidants.
Pour remédier à cette symptomatologie Freud (selon l’interprétation de Monsieur Charles Pépin) défend la thèse de la satisfaction des pulsions agressives par la méthodologie de la substitution engendrée par l’interaction de la « Beauté » définit par notre « docteur »Kant.
Cette substitution que Freud nommera « SUBLIMATION » consisterait tout simplement à conscientiser l’énergie vitale agressive non reconnue par la société pour utiliser son substrat en vue d’une transformation substitutive empreinte d’une Beauté recevable.

Fort heureusement si vous preniez le temps d’étudier l’ouvrage de Monsieur Charles Pépin dont j’ai trop promptement et certainement imprudemment interprété le message délivré, vous laisseriez-vous séduire par le charme et la BEAUTÉ d’une écriture philosophique et poétique qui pourrait – au moins ponctuellement – nous rassembler dans la perspective d’un plaisir d’une lecture partagée ?

Béatrysse Dartstray